Une plus grande tente: le but ultime du Logiciel Libre. Translated by Micheal Opdenacker michaelo@netcourrier.com Par Ruben Safir Le matin du 11 septembre 2001, au milieu d'un des meilleurs moments de ma vie, la plus belle matinée que j'ai connue, j'étais assis dans mon bureau illuminé de soleil, je m'en souviens comme si c'était arrivé ce matin, la messagerie de mon ordinateur GNU s'est mise à sonner et sonner. En regardant, je vis 117 nouveaux messages, alors que je n'en reçois d'habitude pas plus d'une douzaine durant la nuit. Je trouvai cela étrange. J'ouvris ma boite et vis le sujet d'un des messages: "Mon Dieu, le World Trade Center vient juste d'être frappé". J'ouvris le message en me disant: "Encore une fois!", et en me secouant la tête. Le message disait que toutes les stations de télévision n'émettaient plus. J'allumai ma carte d'acquisition TV et, en effet, toutes les stations sauf le Canal 2 étaient muettes. Les chaînes 2, 5, 7, 9, 11, 13, 21, 25, 31, 41 et 45 avaient toutes disparu. J'étais en train de regarder la tour nord qui brûlait sur le Canal 2, quand le deuxième avion frappa la tour sud. Tout ce temps, j'échangeais des courriers électroniques avec des amis. Je me souviens de mon ami Billy Donahue m'écrivant qu'il pleuvait du papier dans son quartier de l'autre côté de la rivière à Brooklyn. J'ai alors mis la vidéo en mode enregistrement, et me précipitai au dehors en direction du désastre. Quand la première tour s'est effondrée, j'étais abasourdi, non pas par incrédulité, mais submergé par plus d'émotion que je ne pouvais en absorber. La colère, la dépression, la confusion et la frustration se faisaient concurrence dans mon esprit. Je voulais juste me rapprocher et apporter mon aide, mais tout accès au bas de Manhattan depuis Brooklyn était condamné. Le quartier resta longtemps inaccessible. Les tours étaient un grand symbole d'espoir et de fierté. Ceux qui n'ont jamais fait l'expérience de les voir sur un tel port de cristal, comme si elles flottaient sur une eau miroitant de soleil, ne pourront jamais complètement se rendre compte de la perte que cela représenta pour notre ville ce jour-là. Nos coeurs et nos âmes étaient très liés au symbole de ces tours. Elles étaient constamment utilisées pour leur image et pour leur fascination, et les New Yorkais en étaient venus à s'y attacher d'une façon très personnelle. La civilisation qui a attaqué notre ville, et a frappé l'esprit de New York, laissant juste de la poussière et une boule de feu, en anéantissant des milliers d'individus, est une organisation qui s'attaque au formidable message de New York à l'intention du monde: "Ce sont la Liberté et le Respect des Droits qui font naître l'Espoir et les Opportunités". New York est une vaste tente, qui étend ses bras vers tous, le nid de la liberté pour toutes les races et groupes ethniques, le plus grand symbole de liberté au monde. Ceux qui nous ont attaqués, ont aussi attaqué les fondations de la liberté, ainsi que du progrès qui n'est possible que par l'intégration. Ces gens excluent. Nous, New Yorkais, sommes des intégrateurs, et nous ne pourrons jamais l'oublier. Le Logiciel Libre est un outil d'intégration. Il est le meilleur espoir d'un futur d'individus, de communautés et d'une industrie qui ont leur destinée entre leurs mains. Comme tous les mouvements légitimes de libération, le Logiciel Libre fait face à ses détracteurs en proclamant son efficacité et sa pertinence. Cependant, nous devrions tous savoir que le seul moyen qui ait fait ses preuves pour assurer le développement de la société et sa prospérité, est une forte dose de liberté. Il y a 226 ans, sur le sol de ma ville, à Brooklyn, au mois d'août de cet été 1776, notre ville fut appelée à se dresser pour défendre la liberté naissante des colonies américaines, sur la scène de la première et de la plus grande bataille de la révolution américaine. Au moment où nous commémorons ces événements cet été, je ne peux pas m'empêcher de me souvenir que c'est grâce à la coopération de ceux de notre ville et du peuple français, que nous avons pu surmonter les lugubres perspectives de la défaite de ce jour, pour présenter au monde une nation de paix, de liberté et de tolérance. Depuis ce jour-là, ma ville est devenue la patrie d'une multitude de peuples et de nations, comme nulle part ailleurs auparavant ou depuis lors. Mon espoir est qu'aujourd'hui, Brooklyn et la ville de New York puissent à nouveau trouver comme alliés cette grande nation qu'est la France dans cette lutte pour la liberté. Le Logiciel Libre est le seul moyen de préserver un futur de prospérité et de sécurité pour tous les peuples du monde. C'est n'est qu'à travers le droit de s'associer, de se rassembler et de collaborer pour résoudre nos problèmes que nous pouvons espérer garantir que ces merveilleux outils que nous utilisons pour notre expression, pour notre industrie et pour notre éducation, demeurent aussi libres que notre presse et nos gouvernements. Notre travail en tant qu'utilisateurs, promoteurs et programmeurs du Logiciel Libre, est de veiller à la création de la tente la plus large possible. Nous encourageons tous les individus à prendre part au Logiciel Libre. Nous espérons qu'ils puissent trouver dans celui-ci la liberté de s'exprimer et de s'épanouir. Alors que l'asservissement de l'utilisateur et la restriction de l'utilisation des outils numériques est au coeur des objectifs commerciaux de chacun des systèmes informatiques propriétaires, le but primordial du Logiciel Libre est exactement le contraire. Notre but de fournir des Logiciels Libres s'adresse à tout le monde. Notre but est de redonner à chacun le contrôle de sa destinée, quelque soit sa richesse, son passé ou ses origines ethniques. Nous offrons à chacun une part dans le futur, un futur qui promet d'être rempli de communications numériques, et d'une vie de tous les jours qui fera de plus en plus appel aux ordinateurs. Les appareils numériques constituent le futur de l'éducation, des loisirs et de nos besoins d'information. Les meurtriers de masse qui attaquèrent ma ville, une ville d'immigrants, de tolérance et d'une co-existence fructueuse, ces meurtriers croient en la pureté ethnique et en l'autocratie religieuse. Ils s'en prennent à nous par peur de notre porte ouverte, de notre tolérance et de notre liberté. Parallèlement, ceux qui utilisent le logiciel pour exploiter les gens, pour les manipuler et pour limiter notre potentiel comme civilisation, ce sont ceux qui souhaitent décider de façon autocratique de ce que nous pouvons lire, ce que nous pouvons écouter, et comment nous pouvons partager. Ils abusent de leurs monopoles de copyright et luttent contre la propriété privée des ordinateurs et des logiciels. Ils s'attaquent férocement au Logiciel Libre. Ils s'attachent à éroder notre liberté et nos marchés ouverts. Ils nous mettent en prison pour avoir cherché à comprendre comment nos systèmes fonctionnaient, ils modifient les formats de données pour restreindre notre accès à leurs systèmes, et ils répandent des mensonges contre les avantages de nos produits, et enfin se présentent eux-mêmes comme des victimes légitimes. Ces tyrans des monopoles de droits d'auteurs prétendent qu'ils sont menacés et affaiblis. Ils appellent à l'aide les gouvernements pour les protéger du public, en faisant appel à la police et à la surveillance des communications. Nous, en tant que personnes libres, nous nous tenons debout tous ensemble, en nous serrant les coudes, pour proclamer que nous n'allons dorénavant plus accepter cette situation. Il est de la responsabilité de chaque utilisateur et de chaque développeur de Logiciels Libres d'encourager l'épanouissement personnel en exigeant une plateforme libre pour nos infrastructures de communication. Nous devons aller à la rencontre des embrigadés, ceux d'entre nous qui, par les circonstances ont été laissés à l'écart de notre économie globale, ou ceux qui sont marginalisés par le racisme ou par leur origine nationale. Nous devons aller à la rencontre de ceux qui n'ont pas eu l'occasion de développer leur plein potentiel. Les individus et les nations qui vivent dans la pauvreté et dans la maladie, ainsi que les enfants dans nos villes et tout autour du monde, ne peuvent être garantis d'avoir l'occasion de faire progresser leur vies et développer leur identité que s'ils peuvent vivre en liberté. Les modèles de logiciels propriétaires ne pourront jamais garantir cette liberté nécessaire à cette prise en main de son propre destin. Les mesures des gouvernements, telles que la "loi sur les droits de copie du millénaire numérique"(Digital Millenium Copyright Act), ne peuvent qu'être utilisées pour nous exploiter davantage, en particulier les plus pauvres. Il empêche le libre commerce et une compétition équitable. Il limite la croissance économique et empêche la créativité. Tous les systèmes logiciels non libres empêchent la participation de tous, en réservant les bénéfices du développement et de la publication à un petit nombre d'éditeurs de logiciels, de producteurs de films et de distributeurs de musique peu méritants, au détriment de notre économie et de notre liberté politique. Quasiment tous les économistes dignes de ce nom admettront que la force qui tire en avant la croissance économique ne vient pas des géants de l'industrie. Ce sont les petites et moyennes entreprises qui tirent en avant l'économie. Ces entreprises créent dans leur domaine plus d'emploi et de richesse que Ford ou Sony. Ce sont ces gens créatifs et qui travaillent dur qui produisent les biens et les services qui sont les moteurs de notre économie libre. Comment pouvons nous espérer que les nouveaux peintres, les nouveaux libraires et les nouveaux industriels puissent construire notre économie future si nous ne donnons pas aux gens la possibilité de créer et d'exploiter de nouvelles technologies dans nos communautés? En réalité, les plus grandes industries d'aujourd'hui ont commencé comme de petites entreprises, par des entrepreneurs qui ont pris de grands risques. Notre industrie automobile est née d'expérimentations créatives dans l'ouest. Notre industrie aérienne s'est développée à partir de mécaniciens aventureux qui ont appris à partir des succès et des échecs d'autres personnes. Nos médias géants sont nés à partir de petits producteurs de films et de petites stations de radio. Chacun de ces succès souligne le besoin de l'apprentissage, de l'expérience partagée, et de la libre compétition. Isaac Newton observait avec justesse que ses découvertes et sa clairvoyance n'avaient été possibles que grâce à la connaissance transmise par ses collègues et par ses prédécesseurs. La capacité unique qu'a l'homme de créer repose sur sa capacité de trouver de nouvelles applications à des idées existantes. Shakespeare, du point de vue des valeurs auxquelles les grands médias voudraient nous faire croire, est un voleur. Il a enrichi des idées et des histoires de Marlow et d'autres écrivains qui l'ont précédé. Et pourtant, Shakespeare est évidemment unique, même s'il a réutilisé des oeuvres existantes pour composer de nouvelles créations. De la même manière, le Jazz et le Rap s'inspirent d'oeuvres existantes. Nous nous trouvons maintenant au tout début de la révolution des communications numériques. Pouvons-nous avoir le moindre doute sur le fait qu'à l'avenir quasiment toute la musique, toute la littérature et toutes les oeuvres non romancées ne soient disponibles qu'à travers des moyens numériques? Sous ces conditions, peut-il y avoir le moindre doute que notre capacité à nous inspirer d'oeuvres culturelles sera fortement restreinte si nous continuons à dépendre de schémas logiciels destinés à nous exploiter? A quel point notre capacité de créer de nouvelles oeuvres sera t-elle limitée? A quel point notre croissance économique sera t-elle freinée? La croissance économique dépend de l'inventivité et de la créativité. Nous devons protéger notre capacité d'innover. Nous devons défendre le droit des autres à exploiter nos innovations. Nous devons préserver le droit des autres à améliorer nos innovations. Il existe, dans les rangs de l'industrie du logiciel, des gens qui croient que leur expérience ou leur études poussées leur donnent le droit à une part exclusive de la future économie. Cette idée domine surtout dans le monde Unix. Ces utilisateurs continuent à privilégier l'exécution de lourdes tâches sur de gros ordinateurs. Ils défendent bec et ongles le territoire qu'ils croient détenir dans les technologies de l'information. La réputation de ces individus est si mauvaise dans le plus vaste monde de l'entreprise, que Microsoft les dénonce quand il s'adresse aux décideurs informatiques. Ils mènent une campagne marketing leur promettant de les aider à se débarrasser de ces coûteux et détestables professionnels d'Unix. L'échec des éditeurs d'Unix commerciaux qui n'ont pas tenté d'atteindre l'utilisateur de tous les jours est une des principales raisons du succès de Microsoft. Aussi médiocres qu'aient été les produits de Microsoft, en asservissant les utilisateurs, en créant des trous de sécurité, en forçant les sociétés à suivre les mises à jour, les éditeurs d'Unix commerciaux, avec leur infrastructure supérieure, ont toujours refusé d'entrer dans l'arène. Cette philosophie de l'informatique contrôlée par en haut est un échec commercial. Chaque fois que des systèmes mêmes propriétaires rendent disponibles au plus grand nombre un environnement de programmation, que cela soit HTML, Javascript ou même Visual Basic, les utilisateurs afflueront de la masse pour exploiter ces technologies et créer de nouvelles idées et de nouvelles entreprises. Ainsi, tout en devant préserver la liberté, nous devons garantir cette liberté pour le plus grand nombre possible. A New York, nous avons mis en place un nouveau genre d'organisation GNU/Linux. A l'image de notre ville, nous sommes déterminés à dresser une tente la plus vaste possible pour pouvoir accueillir tout le monde. Notre but est de rendre accessible à tous l'informatique libre et les communications numériques. A l'orée de la révolution numérique, nous devons établir des positions avancées dans l'enseignement scolaire, dans le système universitaire, dans l'industrie, dans l'édition ainsi que dans les arts et à la maison. Nous disposons d'un certain nombre d'outils pour essayer de faire progresser nos objectifs. Premièrement, nous avons fait appel à la communauté locale des développeurs de Logiciels Libres, en leur demandant de consacrer bénévolement une partie de leur temps à donner des cours gratuits au public. De surcroît, nous avons engagé une campagne marketting en direction de l'enseignement public, dans le but de diffuser les Logiciels Libres dans les écoles, afin que les jeunes enfants aient l'opportunité d'apprendre à programmer et à utiliser des outils libres utiles dans les arts et dans la musique. Troisièmement, nous faisons pression sur nos dirigeants au Congrès, en faisant du porte à porte en diffusant des pétitions et des badges militant pour la protection de la propriété individuelle et des moyens de communication, suivant le principe de "l'utilisation juste et équitable" ("Fair Use"). Enfin, nous sommes en train de mener une initiative pour combler les besoins des petites entreprises en solutions complètement libres dans leur domaine. Ceci represente une quantité de travail considérable, mais nos membres ont travaillé d'arrache-pied pour donner jour à ces programmes. Il se peut bien que notre organisation soit la plus active des associations locales pour le Logiciel Libre. Quand la récession qui suivit la destruction du World Trade Center à New York, précédée par l'explosion de la bulle des nouvelles technologies, commença à mettre à genoux notre région, la situation devint plus dure. Mais NYLXS, notre organisation, réagit en s'endurcissant elle aussi. Aujourd'hui, nous ensemençons une terre fertile qui apportera un niveau de prospérité à l'économie locale, nationale et globale qui surpassera même celui du boum de la fin des années 1990. Cependant, pour y arriver, nous devons nous engager envers une liberté la plus large possible, et nous devons être prêts à travailler dur. Nous faisons maintenant face à un choix. Nous pouvons continuer comme nous l'avons toujours fait, en espérant que tout finira bien, non seulement pour les développeurs de Logiciel Libre, mais aussi pour le grand public. Ou alors, nous pouvons nous mettre à redoubler nos efforts et à travailler encore davantage. La liberté de créer, de communiquer et de d'améliorer est un besoin fondamental de l'être humain. Il est au fondement de la tolérance, de l'acceptation mutuelle et de la liberté politique. Personne ne sait aussi bien que les Français quel est le prix de défendre sa liberté, car cette nation a été le terrain de bataille de la liberté pendant une bonne partie du siècle dernier. De surcroît, ce pays est probablement celui sur lequel le plus de sang a été versé pour cette cause. Le Logiciel Libre ne vous demande même pas de faire le sacrifice ultime des générations précédentes pour garantir la liberté, mais vous demande seulement d'agir dans votre propre intérêt avec votre plume et votre clavier. Venez seulement nous rejoindre à New York pour bâtir ce nouveau monde, un monde de liberté, de tolérance et de respect mutuel.